dernière lecture : prières nocturnes
Présentation de l'éditeur :
Accusé de trafic de drogue et emprisonné à Bangkok Manuel, un étudiant en philosophie colombien, risque la peine de mort s’il ne reconnaît pas sa culpabilité, mais sa seule préoccupation est de revoir sa sœur, disparue. Touché par son histoire, le consul de Colombie, amateur de cocktails au cœur tendre, se lance à la recherche de la jeune femme pour convaincre Manuel de lutter malgré tout. Il va découvrir le désert affectif d’une famille immergée dans une société violente, d’une petite bourgeoisie prisonnière du qu’en-dira-t-on et fascinée par une richesse inaccessible.
Dans une prose limpide teintée de mélancolie, ce roman nous parle d’une femme prête à tout pour défendre son idée de la justice et permettre à son frère de vivre ses rêves, et d’un étudiant qui n’hésite pas à risquer sa vie pour retrouver la seule personne qui lui a donné son amour. Formidable raconteur d’histoires Santiago Gamboa nous emmène à travers le monde sur les traces de son héroïne passionnée et cynique qui retourne sa beauté contre ceux qui veulent l’exploiter et fait d’un amour fraternel une raison de vivre.
C'est un roman que je n'aurais certainement pas acheté, donc lu, s'il ne m'avait été offert. Drôles de circonstances... le site Babelio (une véritable mine d'or pour lecteur affamé, et dont je suis membre depuis quelques temps déjà) est partenaire d'une opération en collaboration avec les éditeurs : Masse critique. Bref, voilà environ 3 semaines, je recevais ce roman dans ma boîte aux lettres...
Morceaux choisis :
"Le temps, parfois, est un problème de lumière. Avec les années, certaines formes acquièrent un brillant ou, au contraire, se couvrent d'une étrange opacité. Ce sont les mêmes formes, mais elles paraissent plus vivantes et parfois, parfois seulement, on parvient à les comprendre".
"Un jour, elle a décidé de me regarder. Elle m'a vu, je l'ai vue, nous nous sommes plu et elle m'a donné ce que jusque-là je n'avais obtenu de personne, de la compréhension, ou quelque chose de plus intime : un miroir tombé du ciel où mon âme s'est reflétée."
"Croyez-moi (...), la méchanceté de l'âme se colle au corps et le déforme."
"Les riches se débrouillent toujours pour être déprimés. Ils aiment être malheureux. C'est très élégant d'être triste".
"Une des erreurs de la jeunesse consiste à croire que les gens qui s'intéressent aux mêmes choses sont forcément comme vous. Mais la nature fait son travail, l'esprit souffle où il veut."
"Je dis, pendant que je dors, qu'il vaut mieux vivre heureux un seul instant et se laisser emporter, plutôt que de ne l'être jamais et vivre comme un rongeur".
"Les jeunes sont par définition stupides, mais ce n'est pas leur faute, ils sont stupides à cause de ce que leur inculquent les adultes : la foi en l'avenir, c'est stupide parce que ça les remplit d'espoir, mais avec le temps ça s'arrange".
"Sais-tu quel est le nom contemporain de la perversité ? La démocratie. Si un chimpanzé avec un tambour devenait populaire et amusant, il pourrait être élu président. Pourquoi le vote de ceux qui n'ont ni critère de jugement, ni éducation, ni culture pèse-t-il autant que le vote de ceux qui ont tout cela ? Pourquoi un vote obtenu avec un pistolet sur la tempe ou en lavant le cerveau des gens par la publicité, ou acheté cinquante mille pesos, vaut-il autant qu'un vote exprimé en toute liberté ? Pose la question aux défenseurs de la démocratie"
Un passage sans doute un peu long, mais je le trouve tellement fascinant :
"Quand le vieil homme, qui s'appelait monsieur Echenoz, s'est rétabli, nous avons commencé à parler. Je lui ai demandé pourquoi il avait choisi de rester en Colombie, un pays sous-développé et si violent, dont tout le monde veut partir, il m'a répondu mais non, et toi, tu veux partir ? Je lui ai dit que oui, si je le pouvais, je partirais tout de suite, avec mon frère. Et pour aller où ? N'importe où, n'importe quel endroit au monde doit être mieux qu'ici, j'aimerais aller en Europe, dans un pays civilisé. Il m'a regardée sans me juger, le drap couvrait la moitié de sa poitrine, des poils blancs sortaient des boutonnières de son pyjama. Un pays civilisé ? il a dit. Non, tu ne veux pas quitter la Colombie, ce que tu veux c'est t'éloigner de quelque chose que tu n'aimes pas, mais que tu risques de retrouver n'importe où, disait-il moi je connais bien le monde, l'Afrique surtout, où j'ai travaillé quand j'étais jeune pour des compagnies pétrolières françaises, au Zaïre et au Rwanda, des pays durs, mais aussi magnifiques. Je peux dire la même chose de l'Asie. Malgré les difficultés, la vie y est beaucoup plus belle que dans les endroits "civilisés", d'ailleurs que signifie la civilisation ? En Europe, il n'y a pas de futur. c'est un continent fatigué et grincheux qui veut apprendre à vivre aux autres, mais à force de se regarder dans un miroir, l'Europe s'est figée. Tu fais des études de sociologie ? L'Italie et la France sont gouvernées par des clowns, que signifie être de gauche là-bas ? Pas grand-chose : lire la presse de gauche, avoir un vieux CD de Manu Chao, des tee-shirts du Che et du sous-commandant Marcos, se soucier de l'écologie et des droits de l'homme dans un pays lointain, guère plus. L'Europe, comme toute société opulente, est sur la pente descendante. Comme un individu qui a tout : il est amoureux de lui-même et il s'admire, c'est ce qui se passe là-bas, mais ce que ne savent pas les Européens, c'est qu'ils ne sont l'avenir de personne. Tout au contraire : l'avenir, c'est la périphérie. Pourquoi dire que ce pays est sous-développé et violent, comme si c'était une valeur essentielle, raciale ou culturelle d'une nation et pas d'une autre ? Ce qu'il y a, c'est que la Colombie est un pays jeune, très jeune, qui cherche encore son langage. Ce que tu vois en Europe, cette paix d'aujourd'hui, a coûté deux mille ans de guerre, de sang, de torture et de cruauté. Quand les nations d'Europe avaient l'âge de la Colombie, elles étaient ennemies et chaque fois qu'elles s'affrontaient, des fleuves de sang coulaient, des lagunes, des estuaires, des baies de sang. La dernière guerre européenne a fait cinquante quatre millions de morts. Tu trouves que ce n'est pas violent ? Ne l'oublie jamais. (...) De la violence naissent les sociétés et les périodes de paix, c'est comme ça depuis la nuit des temps, la Colombie est à mi-chemin de ce processus et je t'assure qu'elle va y arriver plus rapidement, et avec moins de sang qu'en Europe."