dernière lecture : La mort d'un père
Première partie d'un des plus étonnants projets littéraires contemporains, la mort d'un père a connu un succès fulgurant dans les pays scandinaves - plus de 500 000 exemplaires vendus dans son seul pays d'origine, la Norvège. Traduite en 15 langues, récompensée de nombreux et prestigieux prix littéraires, cette tentative d'embrasser et de transcender par l'écriture la vie tout entière a d'ores et déjà permis à Knausgaard de se hisser parmi les grands classiques contemporains.
Le petit Karl Ove est un enfant trop sensible, grandi à l'ombre d'un frère solaire, d'une mère souvent absente et d'un père aux colères et à la dureté imprévisibles. Devenu lui-même père, il revient sur ses années de jeunesse. Tissé de mille et une petites anecdotes qui forment autant d'épiphanies, ce temps de l'enfance est marqué par la figure paternelle, ombre portée qui plane sur l'ensemble de l'ouvrage. Jusqu'à sa mort dans la déchéance et l'alcoolisme, et sans doute bien après, la vie de Karl Ove reste hantée par ce père souvent cruel envers son cadet qu'il trouve trop délicat. Les scènes de l'enfance et de l'adolescence, retranscrites avec une justesse poignante, évoquent les premiers émois, la passion du rock, les inhibitions. Karl Ove a la vie dure : il ne prononce pas bien les "r ", sent très jeune sa différence, lui qui, comme nombre d'enfants, n'aspire qu'à la plus plate normalité. Et bientôt survient l'impossible : son frère aîné puis sa mère quittent le foyer familial, laissant Karl Ove seul face à ce père menaçant. Tout est à la fois extrêmement intime et totalement universel dans cette épopée du quotidien qui fait notoirement écho à l'entreprise proustienne dans sa quête d'exhaustivité. L'écriture, fougueuse, pleine d'une douleur et d'une intensité peu communes, donne toute sa force à cette autobiographie qui transcende et renouvelle largement les codes du genre. Par-delà ce paysage sensible livré sans fard, avec une sincérité qui confère à l'impudeur, l'oeuvre de Knausgaard est une quête artistique et intellectuelle : celle de la possibilité pour la littérature de dire la vie. L'écho unanime qu'a rencontré ce livre auprès de la critique souligne, s'il en était besoin, le caractère visionnaire et indispensable de ce texte hors norme.
Mon sentiment au sujet de ce roman :
Vu la quantité d'extraits que je n'ai pas pu m'empêcher de relever au fil de ma lecture, vous devinerez aisément combien ce roman m'a séduite !
Il s'agit en fait d'une autobiographie, qui se lit comme un roman. C'est très fluide, et l'on se glisse dans la peau de l'auteur (de l'enfant, de l'ado, puis de l'adulte) assez étonnamment, les sens à l'affût. Les émotions sont fortes, l'homme est fragile. Sa vie, somme toute assez banale, est sublimée par le regard qu'il pose sur le monde, autour de lui (hommes et nature confondus).
Et il y a une suite ! ("Un homme amoureux", désormais disponible en France, puis 4 autres tomes, qui arriveront plus tard...). Je me retiens pour ne pas enchaîner cette seconde lecture, mais, pour une fois, je vais être raisonnable et m'autoriser une pause. Pour absorber doucement ce premier tome.
Et puis, de toutes façons, les 4 derniers tomes ne sont pas encore édités en France...
Pour titiller votre curiosité, voici le lien de l'interview de Karl Ove Knausgaard, qui donne une idée plus précise de son défi "littéraire", devenu best-seller, presque à son insu : c'est par ici (clic).
"Quand notre connaissance du monde s'étend, non seulement la douleur qu'il occasionne diminue mais aussi son sens. Comprendre le monde, c'est prendre une certaine distance par rapport à lui. Ce qui est trop petit à voir à l'oeil nu comme les molécules et les atomes, nous l'agrandissons, ce qui est trop grand comme es formations nuageuses, les deltas, les constellations, nous les rapetissons. Nous ne pouvons fixer les choses qu'après les avoir mises à la portée de nos sens et ce que nous avons fixé s'appelle la connaissance. Nous passons toute l'enfance et l'adolescence à nous efforcer de trouver la bonne distance face aux choses et aux phénomènes. Nous lisons, nous apprenons, nous expérimentons, nous rectifions. Et puis arrive le jour où toutes les distances et les systèmes nécessaires sont établis. C'est à partir de là que le temps commence à passer plus vite. Il ne rencontre plus aucun obstacle, tout est établi, le temps traverse nos vies, les jours passent à une vitesse farouche et, avant même de s'en apercevoir, on a quarante, cinquante, soixante ans..."