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D’autres vie que la mienne
Emmanuel Carrère
Présentation de l’éditeur
À quelques mois d’intervalle, la vie m’a rendu témoin des deux événements qui me font le plus peur au monde : la mort d’un enfant pour ses parents, celle d’une jeune femme pour ses enfants et son mari.
Quelqu’un m’a dit alors : tu es écrivain, pourquoi n’écris-tu pas notre histoire ?
C’était une commande, je l’ai acceptée. C’est ainsi que je me suis retrouvé à raconter l’amitié entre un homme et une femme, tous deux rescapés d’un cancer, tous deux boiteux et tous deux juges, qui s’occupaient d’affaires de surendettement au tribunal d’instance de Vienne (Isère).
Il est question dans ce livre de vie et de mort, de maladie, d’extrême pauvreté, de justice et surtout d’amour. Tout y est vrai.
Mon sentiment au sujet de ce roman
Il y a des évènements qui nous marquent. À vie. On se souvient parfaitement du moment où le choc est arrivé. Exactement à quel endroit on se trouvait. Et qui nous a annoncé la nouvelle.
Comme le jour du 11 septembre. Je suis restée là, incrédule, sidérée. Laurent m'a appelée au téléphone, et, quand j'ai allumé la radio, je n'y croyais pas...
Pour le Tsunami de 2004, j'ai reçu avec la même violence cette information. Nous étions réunis pour fêter Noël, et savoir le malheur qui frappait tous ce gens, à l'autre bout du globe, m'a boulversée. Aujourd'hui, ce sont des choses auxquelles je ne pense plus... mais quand on en reparle, tout est présent en moi...
Dans la seconde partie du roman (la plus importante), il s'agit de la maladie de Juliette. Qui fait mal, aussi.
Alors, évidemment, ce livre d'Emmanuel Carrère réveille des tornades de sentiments. Assister, impuissant, aux revirements violents que la vie peut nous imposer, cela nous rappelle tellement que nous sommes si petits...
Pour en savoir plus (critique de la presse), c'est par là.
Morceaux choisis :
C'est une situation assez rare de se retrouver à dire non seulement ce que l'on a vécu, mais qui on est, ce qui fait qu'on est soi et nul autre, à quelqu'un qu'on connaît à peine. Cela se produit dans les premiers temps d'une rencontre amoureuse et d'une cure psychanalytique.
On est toujours content quand les gens qu'on aime relèvent nos travers comme des raisons supplémentaires de nous aimer.
Pour qui a toujours eu le sentiment d'exister, l'annonce de la mort est triste, cruelle, injuste, mais on peut l'intégrer à l'ordre des choses. Mais pour qui, au fond de lui, a toujours eu l'impression de ne pas exister vraiment ? De n'avoir pas vécu ? A celui-ci, le psychanalyste propose de transformer la maladie et même l'approche de la mort en une chance ultime d'exister vraiment. Il cite cette phrase mystérieuse, déchirante, de Céline : "C'est peut-être ça que l'on cherche à travers la vie, rien que ça, le plus grand chagrin possible pour devenir soi-même avant de mourir".
Devant les souffrances d'autrui, il retrouve instinctivement la posture qui lui a permis de supporter les siennes lorsqu'il était cancéreux. S'ancrer au fond de lui-même, dans son ventre. Ne pas se révolter, ne pas lutter, laisser faire : le médicament, le cours de la maladie, celui de la vie. Ne pas chercher quoi dire d'intelligent, laisser venir les mots qui sortent de sa bouche : ce ne sont pas forcément les bons, mais c'est seulement comme cela que les bons ont une chance de sortir.
J'en ai marre : c'est une phrase très simple, mais extrêmement importante parce que c'est une phrase qu'on s'interdit. On s'interdit non seulement de la prononcer, mais autant que possible de la penser. Parce que si on commence à penser : "j'en ai marre", on se retouve assez vite à penser : "ce n'est pas juste", et "je pourrais avoir une autre vie". Or ces pensées-là sont insupportables. Si on commence à se dire "ce n'est pas juste", on ne peut plus vivre.
Comme on sait, les tumeurs cancéreuses ne font pas mal par elles-mêmes ; ce qui fait mal, ce sont les organes sains qui sont comprimés par les tumeurs cancéreuses. Je crois que la même chose s'applique à la maladie de l'âme : "partout où ça fait mal, c'est moi".
Si on entend par se confier dire des choses qu'il ne sert à rien de dire, des choses à quoi l'autre ne peut rien, elle aurait appelé cela se plaindre, et elle ne voulait pas se plaindre.