dernière lecture : La liseuse
de Paul Fournel
Présentation de l'éditeur :
La stagiaire entre dans le bureau de Robert Dubois, l'éditeur, et lui tend une tablette électronique, une liseuse.
Il la regarde, il la soupèse, l'allume et sa vie bascule. Pour la première fois depuis Gutenberg, le texte et le papier se séparent et c'est comme si son coeur se fendait en deux.
---
Depuis 1452 et la parution de la Bible à 32 lignes de Gutenberg, le texte et le livre ont partie liée : publier un texte c'est faire un livre, lire un livre, c'est lire un texte, acheter un texte, c'est acheter un livre.
Ce récit commence le soir où la petite stagiaire discrète apporte à Robert Dubois le vieil éditeur, encore directeur de la maison qui porte son nom, sa première liseuse. Ce bel objet hightech qui le regarde de son écran noir, lui annonce que sa vie est en train de basculer. Que va devenir son métier maintenant que le texte et le papier se séparent ? Quelque chose couve qui pourrait fort bien être une révolution. Il le sait et cette perspective le fait sourire.
La vie continue pourtant à l'identique, Dubois déjeune avec ses auteurs, voyage chez les libraires, rencontre les représentants, mais il porte sa liseuse sous le bras qui lui parle déjà d'un autre monde. Celui qu'il va aider des gamins à bâtir, celui dont il sait qu'il ne participera pas.
De toute la force de son humour et de son regard désabusé et tendre il regarde changer son monde et veille à garder, intact au fond de lui, ce qui jamais ne changera : le goût de lire.
Mon sentiment au sujet de ce roman :
Très beau texte.
Pas du tout celui auquel je m'attendais. Je ne sais plus trop pourquoi, j'avais cru comprendre qu'il s'agissait d'un genre d'étude comparative sur les liseuses (moi qui deviens inséparable de la mienne, le sujet me tentait bien...).
Bref : rien de tout cela.
(Mais un peu quand même ?)
En premier lieu, ce monde de l'édition (dans lequel je baigne quotidiennement), et qui n'est pas si rose, et qui se pose pas mal de questions sur son devenir "papier". le tout numérique est-il envisageable ? le monde ultra connecté est-il le seul possible, désormais ? Ne devons-nous plus, dès lors, nous adresser qu'aux jeunes (loups) (geeks) pour avoir les idées salvatrices, celles qui sauveront le "livre" ?
Quid alors du "vieux" ? (voui voui... : le salarié, dans cette fameuse maison d'édition, mais aussi l'omniprésent, palpable, rassurant et esthétique livre papier...)
Je vous avouerai être pas mal divisée sur le sujet (du livre ! parce que le "vieux" salarié, pas de doute : il est au top ! ;).
Le livre-papier est pour moi irremplaçable, formant un tout : palpable, harmonieux, odorant. corné ou pas, rempli de sable, de senteurs, ou encore d'annotations. Souvent passé entre d'autres mains. Prêté. Chiné. Puis précieusement rangé dans la bibliothèque. Il est là. Il est beau. Il nous attend. En un mot : il est vivant.
Mais La liseuse... C'est sûr : les textes sont beaucoup plus "virtuels" : à peine lus, pschhhh, "supprimer le fichier" : disparus. Pourtant, le plaisir de lire est bien là. le même ancrage se produit. Et vous avouer aussi que le soir, quand les yeux fatiguent (et que l'on a passé 40 ans !) la lecture est tellement plus facile... Ma liseuse m'a permis de retrouver le chemin de la lecture, quand la nuit est déjà tombée (moi qui m'interdis de lire pendant la journée : je ne ferais plus que ça !).
Enfin (rien à voir) : cet éditeur a immédiatement été, pour moi, celui déjà rencontré dans un roman de Patrick Cauvin (Belange). Pourtant, rien à voir, sinon la solitude, dans l'immense bureau du décideur.
C'est étonnant, un cerveau, les chemins qu'il prend, les liens qu'il crée, les images qu'il impose, surprenantes, parfois. Les associations d'idées, finalement pas si saugrenues. Et les souvenirs.
Et puis toutes ces portes qui s'ouvrent, particulièrement avec les livres (papiers ou epub).
Et dont est question dans ce roman, avec humour et brio.
"(...) il faut que tu saches comme c'est long et comme c'est emmerdant de faire un livre. Même un mauvais livre. Surtout un mauvais livre".
"L'artichaut est un légume de solitude, difficile à manger en face de quelqu'un, divin lorsqu'on est seul. Un légume méditatif, réservé aux bricoleurs et aux gourmets. D'abord du dur, du charnu, puis, peu à peu, du plus mou, du plus fin, du moins vert. Un subtil dégradé jusqu'au beige du foin qu'un dernier chapeau pointu de feuilles violettes dévoile. La vinaigrette qui renouvelle son goût au fil des changements de texture. Un parcours que l'on rythme à sa guise. Rien ne presse dans l'artichaut. On peut sucer une feuille pendant plusieurs minutes, jusqu'à l'amertume, on peu, au contraire, racler des incisives la chair de plusieurs feuilles à la suite pour se donner une bouchée consistante. La seule figure interdite est celle de l'empiffrement. Un légume qui a ses règles d'élégance. Puis vient le moment distrayant de l'arrachage. Saisi entre pouce et couteau, le foin cède en petites touffes nettes, libérant le coeur de toute sa toison en une sorte de saisissant raccourci amoureux. Enfin arrive le moment de la récompense : à la fourchette et au couteau on peut entrer dans le coeur du légume (...). Y a t-il seulement une place digne pour l'artichaut dans la littérature ? Un volume, une page, un paragraphe ? A vérifier dès ce soir".
"Lorsque j'aurai terminé la lecture du dernier mot de la dernière phrase du dernier livre, je tournerai la dernière page et je déciderai seul si la vie devant moi vaut encore la peine d'être lue."