de Romain Gary
Présentation de l'éditeur :
"-Tu seras un héros, tu seras général, Gabriele D'Annunzio, Ambassadeur de France – tous ces voyous ne savent pas qui tu es !
Je crois que jamais un fils n'a haï sa mère autant que moi, à ce moment-là. Mais, alors que j'essayais de lui expliquer dans un murmure rageur qu'elle me compromettait irrémédiablement aux yeux de l'Armée de l'Air, et que je faisais un nouvel effort pour la pousser derrière le taxi, son visage prit une expression désemparée, ses lèvres se mirent à trembler, et j'entendis une fois de plus la formule intolérable, devenue depuis longtemps classique dans nos rapports :
-Alors, tu as honte de ta vieille mère ?"
Mon sentiment au sujet de ce roman :
J'ai été complètement subjuguée par cette lecture, à l'humour à la fois ironique et féroce, aux tournures simples, évidentes, et pourtant tellement subtiles, à l'histoire émouvante. Tout au long de cette auto-biographie (qui se lit comme un roman) (mais d'ailleurs la vie entière de Romain Gary en est un...) : de l'autodérision, de l'amour, de la passion, des rêves, mais aussi du chagrin, de la souffrance, de la peur. Des sentiments.
Une vie.
Mais quelle vie !
Et pour moi, la découverte de cet homme multiple : conteur, bien sûr, mais aussi pilote de chasse, ambassadeur, enfant chéri, russe, polonais, français, double prix Goncourt, et j'en passe. A la fin de cette lecture, je l'adorais, déjà troublée, avant même d'avoir admiré son visage, magnifique (*).
Cet homme est une légende, qu'il a magnifiquement su conter lui-même.
Morceaux choisis :
"Ce que je veux dire, c'est qu'elle avait des yeux où il faisait si bon vivre que je n'ai jamais su où aller depuis."
"Je feins l'adulte, mais, secrètement, je guette toujours le scarabée d'or, et j'attends qu'un oiseau se pose sur mon épaule, pour me parler d'une voix humaine et me révéler enfin le pourquoi et le comment".
"Parfois, je lève la tête et regarde mon frère l'Océan avec amitié : il feint l'infini, mais je sais que lui aussi se heurte partout à ses limites, et voilà pourquoi, sans doute, tout ce tumulte, tout ce fracas".
"Ce fut sans doute ce jour-là que je suis né en tant qu'artiste, par ce suprême échec que l'art est toujours, l'homme, éternel tricheur de lui-même, essaye de faire passer pour une réponse ce qui est condamné à faire demeurer comme une tragique interpellation".
"Je suis convaincu que les frustrations éprouvées dans l'enfance laissent une marque profonde et indélébile et ne peuvent plus jamais être compensées".
"Evidemment, dans votre quarante-cinquième année, il est un peu naïf de croire à tout ce que votre mère vous a dit, mais je ne peux pas m'en empêcher. Je n'ai pas réussi à redresser le monde, à vaincre la bêtise et la méchanceté, à rendre la dignité et la justice aux hommes, mais j'ai tout de même gagné le tournoi de ping-pong à Nice, en 1932, et je fais encore, chaque matin, mes douze tractions, couché, alors il n'y a pas lieu de se décourager."
"Je regardai la mer. Quelque chose se passa en moi. Je ne sais quoi : une paix illimitée, l'impression d'être rendu. La mer a toujours été pour moi, depuis, une humble mais suffisante métaphysique. Je ne sais pas parler de la mer. Tout ce que je sais, c'est qu'elle me débarrasse soudain de toutes mes obligations. Chaque fois que je la regarde, je deviens un noyé heureux."
"J'ai même rendu de grands services à l'humanité. Une fois, par exemple, à Los Angeles, où j'étais alors Consul Général de France, ce qui impose évidemment certaines obligations, en entrant un matin dans le salon, j'ai trouvé un oiseau-mouche qui était venu là en toute confiance, sachant que c'était ma maison, mais qu'un coup de vent, en fermant la porte, avait emprisonné entre les murs pendant toute la nuit. Il était assis sur un coussin, minuscule et frappé d'incompréhension, peut-être désespéré et perdant courage, et il était en train de pleurer d'une des voix les plus tristes qu'il me fût jamais donné d'entendre, car on n'entend jamais sa propre voix. J'ai ouvert la fenêtre et il s'est envolé et j'ai rarement été aussi heureux qu'à ce moment-là".
Pour en savoir un peu plus sur cet auteur :
celui de l'émission Apostrophe, que Bernard Pivot lui a consacrée, quelques temps après sa mort (clic vers youtube)
(*) Oh... et cette photo, qui a si bien su m'émouvoir...