de Françoise Héritier
Présentation de l'éditeur :
" II y a une forme de légèreté et de grâce dans le simple fait d'exister, au-delà des occupations, au-delà des sentiments forts, au-delà des engagements, et c'est de cela que j'ai voulu rendre compte. De ce petit plus qui nous est donné à tous : le sel de la vie".
Dans cette méditation tout en intimité et en sensualité, l'anthropologue Françoise Héritier traque ces choses agréables auxquelles notre être profond aspire, ces images et ces émotions, ces moments empreints de souvenirs qui font le goût de notre existence, qui la rendent plus riche, plus intéressante que ce que nous croyons souvent et dont rien, jamais, ne pourra être enlevé à chacun.
Mon sentiment au sujet de ce recueil :
100 "toutes petites" pages avec juste une liste d'innombrables "détails" : ceux qui, justement, font toute la différence.
Ces toutes petites choses de la vie qui lui donnent toute sa saveur : la caresse du vent sur la peau, l'odeur de la terre quand la pluie commence à tomber, le sourire d'un inconnu croisé en chemin, la forme particulière d'un nuage...
Ce recueil donne envie ...de vite attraper nous aussi un petit carnet et y noter tous ces moments fugitifs, si vite oubliés, et pourtant tellement précieux qui, mis bout à bout, font la beauté de notre existence !
Morceaux choisis :
"Le monde existe à travers nos sens avant d'exister de façon ordonnée dans notre pensée et il nous faut tout faire pour conserver au fil de l'existence cette faculté créatrice de sens : voir, écouter, observer, entendre, toucher, caresser, sentir, humer, goûter, avoir du "goût" pour tout, pour les autres, pour la vie."
"Ce livre plaide pour que nous sachions reconnaître non pas simplement une petite part ingénue d'enfance, mais ce grand terreau d'affects qui nous forge et continue sans cesse de nous forger, êtres sensibles que nous sommes."
Et puis ses petits moments, à la Prévert, où je me retrouve, parfois :
"Faire siffler un brin d'herbe entre ses doigts et ses lèvres,
entendre la vache de Moelan,
caresser la peau douce et flétrie des mains d'une vieille dame,
appeler sa mère "ma petite mère", sa fille "mon trésor", son mari "mon coeur" et ressentir pleinement la justesse de ces appellations,
ouvrir une lettre le coeur battant,
prédire qu'il pleuvra le lendemain à la position des rayons du soleil couchant,
donner solennellement du "Monsieur" à un adolescent,
tomber en extase devant une couleur si juste,
sautiller avec Charles Trénet et regarder avec Yves Montand les jambes de la demoiselle sur une balançoire,
appeler avec un frémissement interne par son prénom quelqu'un que l'on vénère et qui vous en a prié,
s'éveiller dans Paris avec Jacques Dutronc,
lécher consciencieusement le fond des plats,
faire se refléter sous le menton le jaune des boutons d'or,
manger du raisin pris directement à la treille sur la façade d'une maison,
voir de grosse gouttes d'eau s'écraser sur le sol ou un immense arc-en-ciel ou une lumière lointaine dans la nuit noire ou une étoile filante ou silencieusement passer très haut une capsule spatiale,
avoir une tirelire,
surprendre un animal qui vaque à ses affaires,
sentir la densité d'un silence attentif,
entrer dans la parole comme on entre dans l'arène,
trouver enfin le mot juste,
attendre un coup de fil,
s'attrister parce que les galets perdent leurs belles couleurs en séchant,
avoir le fantasme d'une grande maison à volets verts située à une croisée de chemins au coeur d'une forêt,
admirer un grand perron doté de deux élégantes volées de marches ou des roses trémières opulentes ou un toit de tuiles vernissées,
chanter à capella et à l'unisson,
vibrer au timbre d'une voix,
recevoir en pleine figure des ressemblances troublantes et agir avec le nouveau venu comme une ancienne connaissance,
se parler à soi-même in petto,
garder fidèlement une certaine idée de ceux que l'on a aimés,
recevoir les épreuves d'un nouveau livre,
manger des rayons de miel sauvage récolté par enfumage,
croquer des radis,
faire des compotes de pomme et des tartes à la pâte brisée,
boire du cidre frais,
coucher à la belle étoile,
admirer le travail de nuit des termites sur des chaussures oubliées sur le sol,
entrevoir au bout du couloir la démarche de grand héron pressé et les pans de la blouse blanche du patron que l'on attend dans son service à l'hôpital et se sentir réconforté, empli de joie et de bien-être,
aimer tout de la vie sur le terrain, même l'inconfort,
nouer conversation facilement,
assumer ses détestations,
garder les vaches,
tirer du vin nouveau,
regarder les mains expertes de son médecin qui sait identifier le mal du bout des doigts,
faire un bon mot ingénument et ne s'en rendre compte qu'à l'hilarité des autres,
aller chez le coiffeur...