dernière lecture : Instructions pour sauver le monde
de Rosa Montero
En raconteuse d'histoires étranges talentueuse, Rosa Montero nous parle des hasards et des coïncidences et écrit une histoire d'espérance, une tragicomédie entre humour et émotion. Un texte captivant qui nous montre que "la vie est belle, folle et douloureuse. Une fable pour adultes qui invite à profiter de la beauté, maîtriser la douleur et rire de cette incroyable folie".
Mon sentiment au sujet de ce roman :
C'est ce que j'ai ressenti, tout au long de ma lecture,
même si le tunnel, ici, fût fort sombre.
L'écriture de Rosa Montero est de celle qui savent me toucher, même si je préfère des histoires plus (beaucoup plus !) joyeuses.
Beaucoup d'inquiétude, dans ces mots, mais aussi d'espoir.
Pour ma part, je m'accroche TOUJOURS à l'espoir.
Ai-je eu raison ? Ai-je eu tort ? Seule la lecture de ce roman vous le dira !
;)
Un conseil de lectrice acharnée, donc :
lisez derechef "Instructions pour sauver le monde", ou alors un autre roman de Rosa Montero ?,
mais alors promettez-moi de me dire s'il aura aussi bien su vous attraper par les tripes et vous hypnotiser...)
Morceaux choisis :
Un passage un peu long, une histoire dans l'histoire, de celles dont je raffole (vous commencez à me connaître...) :
"–Ah, Matias, Matias, mon ami, je te vois mal en point. Je te dirai une chose : je sais ce que c’est. Je sais que parfois la vie nous écrase tellement qu’elle ne nous laisse plus de place pour respirer. Alors, je bois. Et mes poumons respirent de l’alcool, au lieu de respirer de l’oxygène. Mais ce n’est pas de ça dont j’allais te parler, parce que je sais que, toi, tu n’aimes pas trop la boisson. Il y a d’autres trucs valables contre le désespoir, et tous consistent à sortir de soi-même. Du trou de sa peine à soi. Boire te sort aussi de toi-même parce que ça t’anesthésie. C’est comme le malade qui est anesthésié dans un bloc opératoire : on peut lui couper la jambe et il ne s’en rend pas compte, parce que d’une certaine façon il n’est pas là. Mais nous avons déjà dit que tu n’étais pas partisan de l’alcool. Bon, il y a d’autres façons de sortir de soi-même, comme, par exemple, penser à l’infiniment grand… Qu’est-ce que c’est, ta douleur d’aujourd’hui, de cette minute, de cette heure, de ce jour, et même de toute ta minuscule vie, comparée aux quatre milliards cinq d’années que la Terre existe ? Mais ça marche encore mieux de penser au très petit. Par exemple, aux atomes. Tu sais que tout ce qui existe dans l’univers est composé d’atomes. Ils sont partout. Ils sont dans l’air transparent, dans les pierres rugueuses, dans notre chair tendre. Et il y a tant et tant d’atomes dans l’univers que leur nombre est inimaginable. Ce sont des chiffres inhumains qui n’ont pas assez de place dans nos têtes. Les atomes se regroupent en molécules ; deux ou plusieurs atomes unis d’une manière plus ou moins stable forment une molécule. Et pour que tu te fasses une idée, je te dirai que dans un centimètre cube d’air, qui est le volume occupé par l’un de ces dés avec lesquels tes amis chauffeurs de taxi sont en train de jouer à cette table, il y a quarante-cinq mille millions de millions de molécules. À présent regarde autour de toi et essaie d’imaginer la quantité exorbitante d’atomes qu’il y a partout. Et qui plus est, les atomes, en plus d’être très nombreux, sont pratiquement éternels. Ils durent et durent un temps incalculable. Si bien que cette chose si minuscule est immense en nombre et en persistance. Les atomes passent leurs très longues vies à se déplacer à droite à gauche et à faire et défaire des molécules. Une partie des atomes qu’il y a dans notre corps provient sans aucun doute du cœur incandescent d’un soleil lointain. Tu le sais bien, nous sommes de la poussière d’étoiles. Et pas seulement ça : statistiquement, il est plus que probable que nous ayons des millions d’atomes de n’importe lequel des personnages historiques que tu pourrais nommer. Des millions d’atomes de Cervantès. Et de Marie Curie. Des millions de Platon et d’autres millions de Cléopâtre. Les atomes mettent un certain temps à se recycler ; il faut donc que s’écoulent suffisamment de décennies après la mort de quelqu’un pour que ses atomes puissent rentrer à nouveau dans le circuit. Mais on peut dire que tous les êtres humains qui ont existé sur la Terre vivent en moi, et que je vivrai dans tous ceux qui viendront plus tard. Et dans un brin d’herbe brûlé par le soleil ou dans le corps cuirassé d’un scarabée.
C’était ce que Cerveau pensa qu’il serait bon de dire, et sans doute s’agissait-il de quelque chose d’encourageant et de beau. Malheureusement, à ce stade du petit matin la vieille femme se trouvait déjà trop pompette et avait peur de ne pas contrôler assez bien sa diction. Elle craignait de siffler sur les s, redoubler les r et trébucher irrémissiblement sur les dentales. Elle craignait de bafouiller et d’avoir l’air ivre, ce qui l’épouvantait, car, malgré la dureté de sa vie et les humiliations qu’elle avait dû subir, Cerveau avait réussi à garder sa fierté et demeurait accrochée à son sens de la dignité comme un naufragé qui coule accroché au pavillon de son navire."