"Je n'y parviendrai peut-être jamais, mais jusqu'à mon dernier souffle, je chercherai à comprendre. Comprendre où je suis et ce que je suis et ce que j'y fais, et à quoi ça rime. Ce corps qui s'est construit sans moi, et qui vit sans mon intervention, cet esprit qu'il renferme dans un scaphandre qu'ont-ils à faire ensemble, vers quelle vase ou quel trésor s'enfoncent-ils dans l'océan de la matière ? Cette chair souffrante et jouissante qui me commande, et qui est faite de vide et qui saigne, qui a reçu du fond des âges une vie qui la laissera tomber et pourrir, cet esprit qui aura à peine le temps de naître avant de s'évanouir, je veux comprendre, comprendre, comprendre, pourquoi ils sont associés, si mal assortis, et s'ils ont un rôle à jouer, une place à tenir, exactement, quelque part entre la salade et la galaxie".
"Le hasard ne conçoit pas, n'ajuste pas, n'organise pas. Le hasard ne fait que de la bouillie."
"On ne quitte pas une maison qu'on trouve sale. On la nettoie."
"Quelque application qu'on y mette, il est difficile de croire que le monde n'est qu'un tas confus, un ramassis de matière assemblé fortuitement et battu comme blanc d'oeuf par le fouet des énergies du hasard. De l'infiniment grand à l'infiniment petit, l'examen des ensembles et des détails nous montre au contraire que tout est en ordre. Non seulement en ordre, mais organisé."
"Nous sommes entourés de miracles auxquels nous sommes habitués. Nous vivons par miracles, tout le vivant est miraculeux dans ses moindres détails, mais nous sommes si accoutumés au merveilleux quotidien qu'il a perdu tout pouvoir de nous émerveiller".
"Nul ne sait plus ce que signifie le nom de Dieu. L'adorer ou le haïr est pareillement infantile. On ne hait pas, on n'adore pas un je-ne-sais-quoi. Ce que je sais, c'est que notre univers, considéré dans ce que nous pouvons connaître ou deviner de son ensemble ou de ses plus infimes détails, ne peut être confondu avec un produit informe et inorganisé du hasard, fût-il éternel".
"Dieu n'est que l'image de Quelque Chose, Principe, Force, Idée, Esprit, Volonté, que nous ne pouvons concevoir ni nommer".
"Si Dieu avait eu besoin d'être adoré, il n'eût créé que des chiens. Le chien est bien plus apte que l'homme à l'amour. Un chien affamé, battu, jeté à l'eau par son maître, s'il en réchappe, reviendra gémir d'amour à ses pieds. Voilà bien le fidèle tel que le rêvent les Eglises".
"Toutes les religions du monde nous racontent, à des détails près, la même histoire, comme si l'humanité tout entière avait bénéficié, à un moment de son existence, de la même connaissance et des mêmes certitudes".
"Les racines de l'arbre mangent la terre et la matière inerte devient matière vivante, fleurs, sève, parfums".
"La bête mange la plante, mange la graine et la feuille de l'arbre, et la matière devient aile, sang, oeil. L'homme mange la plante et la chair de la bête, et la matière devient pensée. Quelle est la suite. Qui ? Qui se nourrit de l'homme ? Que deviennent nos joies, nos amours digérées ?"
"Il sait, il croit savoir, que cela qui est lui, cela qui jouit et qui souffre, cela au moins existe depuis son commencement jusqu'à sa fin. Alors il se met à croire en lui-même. Cela ne mène pas loin : jusqu'à sa mort."
"L'impasse peut devenir le début d'une voie".
"Un atome contient, autant qu'une galaxie, l'infini et ses lois. Dieu st entier dans chaque portion de sa création. IL est entier dans chaque créature. Attention ! Il est dans toi, tout entier ! Il est dans moi ! (...) Nous voilà bien avancés... Tu le sens, toi ? Zéro..."
"Je me dis que si, moi qui ne suis rien, j'ai pu faire au hasard de mes lectures ces rapprochements entre les textes anciens et la science nouvelle, que ne serait-on en droit d'attendre d'une assemblée d'hommes de bonne volonté ayant des connaissances et les confrontant dans le désir de tirer, de ces rapprochements, quelques lumières ?"
"C'est l'oeil qui fait la lumière".
***
"1er janvier 1966. Je vais terminer ce livre aujourd'hui, malgré tous les efforts de mes deux petites filles qui grattent à ma porte, m'appellent, courent dans le couloir après la queue du chien, pleurent, rient, vivent et ne se doutent de rien.
J'ai deux petits-fils aussi, au bord de la mer.
Quatre bourgeons qui portent déjà dans leurs cellules innocentes les ordres de la lignée, de l'espèce et de la vie. Et d'ici que ce livre paraisse, peut-être y en aura-t-il un ou deux autres en chemin.
La vie, l'amour, l'espèce ne sont pas chiches.
L'année finit l'année commence, la vieille la jeune terre tourne, tourne sur elle-même, tourne autour du soleil dans le grand espace vide, tourne comme le dernier valseur qui ne veut pas que le bal finisse."