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Le bruit des vagues
25 mars 2014

dernière lecture : Il faut beaucoup aimer les hommes

de Marie Darrieussecq

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3 etoiles

Présentation de l'éditeur :
Une femme rencontre un homme. Coup de foudre. Il se trouve que l'homme est noir. "C'est quoi, un noir ? Et d'abord, c'est de quelle couleur ?" la question que pose Jean Genet dans "les nègres", cette femme va y être confrontée comme par surprise. Et c'est quoi, l'Afrique ? Elle essaie de se renseigner. Elle lit, elle pose des questions. C'est la Solange du dernier roman de Marie Darrieussecq, "Clèves", elle a fait du chemin depuis son village natal, dans sa "tribu" à elle, ou tout le monde était blanc.
Le roman réserve d'ailleurs quelques surprises aux lecteurs de "Clèves", même s'il n'est pas nécessaire De l'avoir lu pour entrer dans cette nouvelle histoire. L'homme qu'elle aime est habité par une grande idée : il veut tourner un film adapté de "au cœur des Ténèbres" de Conrad, sur place, au Congo. 
Solange va le suivre dans cette aventure, jusqu'au bout du Monde : à la frontière du Cameroun et de la Guinée équatoriale, au bord du fleuve Ntem, dans une sorte De "je ntem moi non plus". La forêt vierge est très présente dans toute cette deuxième partie du roman, Qui se passe en pirogue et en 4x4 au milieu des pygmées et des bûcherons clandestins, sous l’œil d'une Solange qui se sent négligée.
Depuis "truismes" en passant par "le bébé" ou "Tom est mort" jusqu’à "Clèves", les romans de Marie Darrieussecq travaillent les stéréotypes : ce qu'on attend d'une femme, par exemple ; ou les phrases toutes faites autour du deuil, de la maternité, de la virginité.
Dans "il faut beaucoup aimer les hommes" cet homme noir et cette femme blanche se débattent dans l'avalanche de clichés qui entoure les couples qu'on dit "mixtes".
Le roman se passe aussi dans les milieux du cinéma, et sur les lieux d'un tournage Chaotique, peut-être parce qu'on demande à un homme noir de jouer un certain rôle : d'être noir. Et on demande a une femme de se comporter de telle ou telle façon : d'être une femme.
Le titre est tiré d'une phrase de Marguerite Duras qui sert d'exergue : "il faut beaucoup aimer les Hommes. Beaucoup, beaucoup. Beaucoup les aimer pour les aimer. Sans cela, ce n'est pas possible, on ne peut pas les supporter."

 

Mon sentiment au sujet de ce roman :
Une très belle écriture, c'est certain. 
Mais l'histoire reste dérangeante. Pas à cause de la différence de couleur de peau (ce dont s'interroge Solange, l'héroïne du roman, dès la naissance de son magnifique amour pour Kouhouesso), mais plutôt l'enfermement et l'attente dans lesquels Solange s'est cloisonnée. Un amour aliénant, dirigé vers un homme (l'Homme !, dirait-elle) qui, à mon avis, ne la mérite pas. Il le lui démontre d'ailleurs tout au long du roman, mais surtout à la fin. Quel muffle !
Dérangeant, aussi, ce monde du cinéma, où les acteurs sont décrits comme des êtres totalement superficiels, vivent-ils sur une autre planète ? S'ils n'y sont pas, la consommation de drogues et autres boissons alcoolisées (plutôt banalisées dans le roman, cela correspond-il à la réalité dans ce monde-là ? C'est l'impression que nous en donne la presse people...) finissent de les déconnecter de la réalité...
Puis vient ce basculement entre deux mondes, avec le passage vers la brousse africaine, hostile. Extrêmement contrasté. Dur. La vraie vie ? La secousse dont a besoin Solange pour enfin réagir ? Je crois que c'est là la partie que j'ai préférée de ce roman et, après réflexion, je la trouve même assez fascinante. Un tas d'images restent collées devant mes yeux, un peu oppressantes, comme l'est sans doute l'Afrique entière... 

Un sentiment mitigé, donc, pour moi...  

 

 
Morceaux choisis :
Et il porte sur la mer un regard infini.
Au bout de combien de temps se rompt un lien ? se dénoue une histoire ? L'amour, lui, empirait. L'amour idiot, celui qui empêche de vivre. Le désir qui est une des forme de l'enfer. 
Vouloir se faire aimer de tout le monde plutôt qu'un seul, ça lui faisait comme un repos.
Avant la rencontre, elle se passait de lui. Elle ne percevait même pas son champ magnétique : elle l'ignorait superbement
Le visage est ce que l'on ne voit pas de soi. Le dos non plus, je vous l'accorde. En se contorsionnant, on attrape un éclat d'omoplate, un peu de clavicule et de reins. Mais on porte devant soi son visage comme une offrande.
Un regard sur la mer et elle voudrait être la mer. Un regard sur les vagues et elle voudrait être les vagues. Elle voudrait être le vide, elle voudrait être l'ailleurs, elle voudrait être la chanson qu'il a dans la tête et elle voudrait qu'il la chante, elle, qu'il dérive, oui, mais vers elle ; elle voudrait être cette pensée évasive.
Est-ce que c'était ça l'amour, cette façon d'attendre et maintenant, de regarder bouger les belles lèvres sur les belles dents sans écouter ?
Elle songea qu'elle n'avait pensé à lui que par intermittence : l'exotisme est une distraction puissante.
Les arbres avertissent et préconisent. Les arbres prennent le parti des sages. Les grottes sont sacrées.
Seuls les gens sans vision s'échappent dans le réel, c'est ce que disent les Zoulous
Pas le même homme de face et de profil.
 
Beaucoup de beaux passages sur l'attente :
Attendre est une maladie. Une maladie mentale. Souvent féminine.
Mais qu'importe les lieux et les temps, le monde ici et maintenant était à nouveau peuplé d'un seul homme.
De lui, de cet homme qu'elle aimait, de lui dont elle apprenait les goûts, l'histoire, le plaisir, la force , le talent et le manque d'humour, de lui dont elle commençait à redouter les humeurs, de lui elle ne savait rien. ...
L'objet précis de son attente - lui, ici. Lui et pas un autre. L'attente était tellement vaste qu'il en était pour ainsi dire dissous. Devenu -lui, cet homme- impossible. Une constellation dont l'existence est connue, visible dans le ciel, mais inatteignable et de ce fait, abstraite, et à la longue, indifférente.
L'attente recommençait, l'attente comme une maladie chronique. Une fièvre engluante, une torpeur. Et entre deux rencontres, deux réinfections, elle s'imprégnait lentement de ce paradoxe: elle attendait un homme qu'elle perdait de vue, un homme comme inventé. L'attente était la réalité; son attente à elle la preuve de sa vie à lui. 
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